LGBT+, pourquoi et comment aborder le sujet en entreprise ?

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Me&YouToo a organisé en Janvier 2023 avec une cinquantaine d’entreprises, un webinaire sur la thématique LGBT+ en entreprise où Jean-Louis CARVES et de Aurélien BEAUCAMP ont pu témoigner au sujet de ce qu’ils avaient mis en place chez IBM et chez Michael Page. Retours sur les enseignements de ce passionnant moment d’échange.

 

1. Pourquoi aborder le sujet LGBT+ en entreprise ?

 

C'est une question récurrente. Dès l'évocation du sujet, surgissent une multitude d'arguments : cela concerne la vie privée, l'entreprise n'a pas à se mêler de la vie sexuelle de ses salariés, l'orientation sexuelle des personnes ne concerne qu'elles-mêmes...

En réalité, l'orientation sexuelle des hétérosexuels est un sujet très souvent et très naturellement abordé en entreprise. Lorsqu'on raconte son week-end en famille le lundi matin, lorsqu'on parle de son conjoint ou de ses enfants à la pause déjeuner, lorsqu'on remplit des documents de mutuelle ou de prévoyance sur ses ayants droit, ou encore lorsqu'on affiche une photo de sa famille en fond d'écran de son téléphone ou de son ordinateur, on donne des informations sur son orientation sexuelle.

La vie professionnelle et la vie personnelle ne sont pas des sphères étanches et de nombreux moments de convivialité et de partage entre collègues sont l'occasion de parler de soi et de sa vie "hors travail". C'est quelque chose de totalement anodin pour la plupart des personnes hétérosexuelles. En revanche, si vous avez une autre orientation sexuelle, la question de la visibilité et des conséquences que cela pourrait avoir se pose immédiatement.

Selon le baromètre 2022 de l'Autre Cercle, 50% des LGBT ne sont pas visibles au travail. Chez les lesbiennes, c'est pire : ce sont les deux tiers qui sont invisibles. Outre le fait de ne pas parler de sa vie privée ou de ses activités extraprofessionnelles, cette invisibilisation se traduit également par le fait de renoncer à certains droits et dispositifs de l'entreprise tels que les congés parentaux, bénéficier des extensions de mutuelles ou des activités du CSE. Quand on sait que les LGBT+ représentent environ 10% à 15% de la population, cela fait un certain nombre de salariés concernés.

L'invisibilité a également un coût cognitif important : faire attention aux informations que l'on donne, ne parler de son ou sa conjointe qu'avec des termes non genrés, voire s'inventer un conjoint de l'autre sexe. Le stress de subir un outing ou de croiser des collègues le week-end. Cette fatigue cognitive peut conduire à l'isolement ou à éviter les moments collectifs. Les personnes vont être considérées comme froides ou distantes et risquent d'être moins performantes et engagées dans l'entreprise.

Aborder le sujet LGBT+ et le traiter en entreprise permet donc de garantir un cadre de travail dans lequel les personnes sont libres d'être elles-mêmes et ne sont pas obligées de laisser à la porte de l'entreprise une partie de qui elles sont. Il ne s'agit pas de forcer les gens à se dévoiler mais de leur permettre de se sentir à l'aise pour le faire s'ils ou elles le souhaitent. Pour pouvoir être soi-même au travail, il faut se sentir respecté et en confiance pour le faire.

Donc, à la question "pourquoi aborder le sujet ?", la réponse est : parce que cela répond à des enjeux d'égalité et de performance. L'orientation sexuelle et l'identité de genre sont des composantes de l'identité des individus et ont, de ce fait, toute leur place dans les politiques de diversité et d'inclusion, au même titre que le genre, les origines, l'âge, l'état de santé ou le handicap.

 

2. Comment agir sur le sujet ?

 

De nombreuses actions possibles ont été évoquées au cours du webinar par nos intervenants. Parmi elles, certaines sont incontournables :

  1. Faire porter le sujet au plus haut niveau :
    Le sujet ne doit pas seulement être porté par une personne emblématique, mais partagé par la direction afin d’éviter un éventuel retour en arrière. L’engagement de l’entreprise peut se manifester par la signature d'une charte inter-entreprise comme celle de l’Autre Cercle, par une charte interne ou encore être explicitement mentionné dans la communication et les prises de parole des dirigeants. Le mois des fiertés, qui commence le 1er juin, est une bonne occasion pour formaliser un engagement et le communiquer.

  2. Intégrer le sujet de façon systématique dans les actions de sensibilisation et de formation sur la diversité et l’inclusion :
    Si les entreprises les plus engagées peuvent mettre en place des sensibilisations et des formations dédiées sur la thématique LGBT+, les autres peuvent à minima aborder la question LGBT+ dans les formations D&I. Que ce soit lorsque l’on évoque les stéréotypes et les biais, quand on parle de micro-agressions et des écarts de langage ou de comportements, quand elles forment à la non-discrimination ou au management inclusif. L’objectif est de parler du sujet au même titre que les autres thématiques de diversité. On peut, par exemple, intégrer dans les communications et les sensibilisations sur le sexisme, la question de l’homophobie et notamment dans ses formes ordinaires, car les deux sujets sont souvent assez liés. Si vous avez une semaine de la diversité et de l’inclusion (surtout si vous la faites en juin), c’est une occasion d’aborder la thématique au même titre que les autres sujets, que ce soit en organisant une conférence spécifique sur pourquoi et comment traiter de la thématique LGBT+ en entreprise, ou en la citant dans des conférences plus génériques.

  3. S’assurer de l’égalité de traitement et de la non-discrimination dans les pratiques RH et managériales :
    Il s’agit ici de vérifier qu’il n’y a pas de pratiques discriminatoires que ce soit au niveau des processus ou des pratiques, mais également que la confidentialité des informations personnelles fournies par les salariés aux RH est garantie. Cela passe également par un cadre clair de tolérance zéro sur tout type de propos ou de comportements homophobes, lesbophobes ou transphobes avec des dispositifs de remontée et de traitement des situations. Ces dispositifs doivent traiter les éventuelles situations de discrimination dans les pratiques managériales mais également dans les relations interpersonnelles.
    DRAPEAU LGBTQIA+ source Lautre cercleSource image L'autre Cercle

Pour les entreprises qui veulent aller plus loin et s'engager réellement sur le sujet, d'autres actions sont possibles :

  1. Mesurer les perceptions et les ressentis des salariés (LGBT ou pas) :
    Cela peut se traduire par des enquêtes internes, la participation à des baromètres, l'intégration de questions dans les enquêtes de climat social sur le sentiment d'inclusion ou le ressenti d'appartenance à une minorité. Mesurer permet non seulement de rendre le sujet visible, de savoir quels sont les ressentis sur le terrain, mais aussi de voir la progression au fil du temps. Les autodiagnostics Me&YouToo peuvent être une approche intéressante car ils permettent une prise de conscience en douceur en rendant le sujet concret, d'agir sur les comportements individuels au travail tout en récoltant des données de mesure. Testez un extrait de l'autodiagnostic « êtes-vous un ou une allié·e LGBT+ ».

  2. Lancer un réseau de salariés LGBT+ et alliés : 
    La constitution d'un réseau (formel ou informel) qui mobilise les salariés volontaires LGBT+ et alliés permet d'impliquer les collaborateurs dans des actions de sensibilisation, de libérer la parole, de faire remonter des pistes de travail. Ces réseaux, comme les réseaux de femmes qui ont de plus en plus évolué vers des réseaux de mixité, mobilisent des salariés directement concernés et des salariés qui souhaitent s'impliquer et soutenir le sujet. Quelques petits conseils pour assurer la pérennité de ces réseaux : avoir un budget dédié, travailler sur leur rôle et leur périmètre d'action, ne pas les limiter aux salariés du siège, s'assurer de leur ancrage opérationnel et leur indépendance vis-à-vis des politiques RH.

  3. Revoir les dispositifs RH pour les rendre plus inclusifs :
    L'entreprise peut également travailler pour rendre ses dispositifs RH plus inclusifs et s'assurer que les salariés ne seront pas contraints de renoncer à certains droits. Cela peut passer par la mise en place d'un congé « second parent » de même durée que le congé paternité ou de faciliter les démarches administratives aux salariés ayant entamé une transition de genre.

  4. Soutenir des acteurs ou des actions externes sur le sujet :
    Cela peut passer par le soutien à des associations, des actions de mécénat ou de sponsoring, mais également par la déclinaison de certains événements en interne.

Quelle que soit la communication et les actions mises en place par l'entreprise, il est impératif qu'elles soient en cohérence. Une communication ambitieuse en tant qu'entreprise LGBT friendly doit s'accompagner d'actions et d'une politique à la hauteur de l'engagement pour éviter un effet de dissonance préjudiciable à la crédibilité de l'entreprise. Mais cette responsabilité ne doit pas vous empêcher de commencer à agir sur le sujet !

Ressources :

Baromètre de l'Autre cercle 

Guide Voilat/l’autre cercle sur l’inclusion des femmes lesbiennes 

 

Inès Dauvergne

Experte sur les questions d'inclusion et diversité depuis 20 ans, Inès Dauvergne intervient auprès des entreprises et des pouvoirs publics pour les accompagner sur les questions de diversité, d’inclusion, de mixité et de stéréotypes. Inès Dauvergne est à l'origine de l'élaboration de la politique diversité et inclusion de nombreuses grandes entreprises en France. Modjo : changer le monde et en bien !