C’est devenu un rituel entre eux : tous les lundis, lovés sur leur canapé, un café fumant à la main, ils démarrent leur semaine de travail par leur visio d’équipe. Ils prennent des nouvelles du week-end, parlent des rendez-vous de la semaine, s’échangent des banalités et les blagues fusent ; parfois, un peu sexistes d’ailleurs, mais personne ne semble s’en offusquer, préférant afficher un sourire de façade… Histoire de ne pas « casser » l’ambiance. Oui, mais voilà ! il se pourrait bien que derrière ce petit rituel anodin, se cachent en réalité les prémices d’agissements réprimandés par la loi : les agissements sexistes au travail.
En effet, depuis la loi du 17 août 2015, dite loi Rebsamen, les agissements sexistes font partie des risques professionnels que l’employeur doit prendre en compte, au même titre que le harcèlement sexuel ou moral. Au quotidien, ils génèrent du stress et du mal-être chez celles et ceux qui en sont la cible et perturbent le bon fonctionnement de l’entreprise. C’est pourquoi, l’employeur a l'obligation de prendre les dispositions nécessaires en vue de prévenir les violences sexistes et sexuelles dans son entreprise, d'y mettre un terme lorsqu’il en a connaissance et de les sanctionner. Cela étant dit, ce que l’on nomme aussi « sexisme ordinaire » est une notion qu’il est parfois bien difficile d’appréhender et de repérer. En matière de comportement entre les femmes et les hommes, la subtilité est de mise et l’ambivalence, sa cousine. L’employeur, même le plus investi et impliqué dans la lutte contre le sexisme, pourrait se trouver bien démuni. Cet article rassemble toutes les informations nécessaires à l’employeur pour lutter efficacement contre le sexisme ordinaire dans son entreprise. Alors, suivez le guide !
Agissements sexistes au travail : définition
Maladresse, manque de tact, séduction, sexisme, discrimination, harcèlement… La lutte contre les agissements sexistes dans le monde du travail nécessite une bonne compréhension de ce que sont ces comportements illicites. « Nommer c’est dévoiler et dévoiler c’est déjà agir… » (Simone de Beauvoir).
Les agissements sexistes sont interdits par la loi
Parce que les remarques ou blagues sexistes peuvent créer une situation de travail dégradante et humiliante, les agissements sexistes ont fait leur apparition dans le Code du travail avec la loi du 17 août 2015, dite loi Rebsamen. La loi du 8 août 2016, dite
loi El Khomri, viendra renforcer et compléter le cadre juridique.
« Nul ne doit subir d'agissement sexiste, défini comme tout agissement lié au sexe d'une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant. » (C. trav., Art. L 1142-2-1). Mais encore ? Selon le Conseil Supérieur à l’Egalité Professionnelle (CSEP), les agissements sexistes regroupent « l’ensemble des attitudes, propos, et comportements, liés aux rôles stéréotypés attribués par la société aux femmes et aux hommes, qui ont pour objet ou pour effet de les délégitimer, de les inférioriser, et de les déstabiliser de façon insidieuse ». Les agissements sexistes sont donc des actes qui relèvent d’un système de représentations et de valeurs qui postule et tente de justifier la suprématie d’un sexe par rapport à l’autre. Ils peuvent aussi être fondés sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre (personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transidentitaires...).
Les éléments qui caractérisent l’agissement sexiste
L’auteur d’agissement sexiste en entreprise peut être un supérieur hiérarchique, un collègue ou un autre employé de l’entreprise, comme un subordonné. Les victimes sont majoritairement des femmes, mais ne vous y trompez pas, les hommes peuvent également subir des agissements sexistes. Quoi qu’il en soit, trois éléments doivent être réunis :
- L’existence d’un ou de plusieurs éléments de fait, pouvant prendre différentes formes (comportement, propos, acte, écrit), subi(s) par une personne, c’est-à-dire non désiré(s).
- L’agissement peut être conscient et intentionnel ou inconscient et involontaire. Il porte atteinte à la dignité du/de la salarié·e ou créer un environnement de travail intimidant, hostile, humiliant voire offensant.
- L’existence d’un lien entre les agissements subis et le sexe de la personne : un·e salarié·e subit ces agissement(s) parce qu’elle est une femme, ou parce qu’il est un homme.
Les différentes formes de sexisme
Le sexisme se manifeste de différentes façons, de la plus légère des remarques au plus violent des comportements. Son auteur peut agir en toute conscience ou ne pas prendre la mesure de ses agissements. On distingue 2 formes de sexisme :
1/ Le sexisme ordinaire
Cette forme de sexisme se manifeste par des plaisanteries, des commentaires sur l'apparence physique ou encore des propos stéréotypés. Vous connaissez ces petites formules, en apparence bienveillantes et prononcées par une personne pétrie de bonnes intentions. « Cette robe te va bien ! », « Dites-moi mon petit » et notre préférée : « C’est bien d’avoir une femme DRH, elles sont plus sensibles et plus à l’écoute » ! Le problème réside dans le fait que ces soi-disant qualités se basent sur des croyances à caractère discriminatoire vis-à-vis des femmes ou des hommes. Une façon d’inférioriser.
Cette forme de sexisme peut s’exprimer sous forme de :
- propos paternalistes qui infantilisent ou maintiennent un déséquilibre femme/homme ;
- compliments sur le physique, le comportement, la tenue vestimentaire risquant de réduire l’autre à son apparence ;
- valorisation des femmes ou des hommes pour des compétences professionnelles perçues comme spécifiquement féminines ou masculines.
Parfois, leurs auteurs avancent masqués. Ils affirment une opinion favorable à l’égalité des sexes. Mais leur intention de nuire est tout à fait consciente : traiter un sexe de manière défavorable par rapport à l’autre sexe. Vous reconnaîtrez la fameuse proposition « Caroline, pouvez-vous faire le compte-rendu, vous savez si bien le faire » …
Il se traduit par :
- des remarques et des blagues sexistes sous couvert de l’humour ;
- l’affectation des femmes et des hommes à certaines tâches conformes aux stéréotypes de genre ;
- l’exclusion ou l’infériorisation comme ne pas écouter une prise de parole.
2/ Le sexisme hostile Le sexisme hostile est une attitude clairement négative et explicite à l’égard des femmes ou des hommes. Il est intentionnel, sans équivoque et il s’exprime ouvertement, ce qui le rend plus facile à identifier. Il prend la forme de propos insultants ou dégradants, d'attitude hostile. D'un point de vue juridique, le sexisme hostile est une infraction qualifiée “d’outrage sexiste” dans le code pénal.
Lutter contre le sexisme en entreprise : de la prévention à la sanction
L’employeur a une obligation générale en matière de santé et de sécurité : celle de protéger la santé physique et mentale de ses salariés (C. trav., Art. L.4121-1). Les agissements sexistes figurent parmi les atteintes à la santé mentale des salariés. La responsabilité de l’employeur pourra donc être engagée en cas de manquement ou de défaillance à son obligation de sécurité. De plus, parce que les représentations sexistes constituent un terreau qui facilitent l’apparition de comportements plus graves, comme la discrimination fondée sur le sexe, le harcèlement sexuel ou l’agression sexuelle, l’employeur a l’obligation de prévenir ces comportements et d’agir.
Lutter contre les agissements sexistes pour stopper le processus de dégradation
La lutte contre le sexisme nécessite d’agir le plus en amont possible. En effet, l’agissement sexiste est une des étapes d’un processus qui, s’il n’est pas stoppé, peut aboutir à des situations plus graves de violences sexistes et sexuelles que sont le harcèlement et l’agression sexuelle. C’est pourquoi, l’obligation de sécurité de l'employeur implique une obligation de prévention et de traitement à tous les niveaux du processus :
- Les stéréotypes de genre
- L’environnement favorable au sexisme ordinaire
- Le sexisme hostile
- Le harcèlement sexuel
- L’agression sexuelle
Les obligations légales : le « minimum syndical »
Depuis le 1er janvier 2019, de nouvelles règles s’imposent aux employeurs pour lutter contre le sexisme en entreprise. Le point sur ces obligations :
- Informer : l’employeur a l’obligation d'afficher le texte légal relatif au harcèlement sexuel et aux agissements sexistes et de le mentionner dans le règlement intérieur de l’entreprise. Il doit également mettre à disposition de ses salariés les coordonnées du médecin du travail, du service de santé au travail compétent pour l’établissement, de l’inspecteur du travail compétent et celles du Défenseur des droits.
- Evaluer : le document unique d'évaluation des risques (DUER) doit intégrer l’évaluation des risques liés aux agissements sexistes.
- Négocier : les organisations professionnelles ont l’obligation de négocier, au niveau de la branche, sur « la mise à disposition d’outils aux entreprises pour prévenir et agir contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes ».
- Désigner : les entreprises d'au moins 250 salariés doivent désigner un référent employeur chargé d'orienter, d'informer et d'accompagner les salariés en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes. Le comité social et économique (CSE) doit également désigner, parmi ses élus, un référent harcèlement sexuel. L’employeur a l’obligation de former ces référents.
Les sanctions en cas d’agissements sexistes avérés
Lorsqu’il a connaissance d’agissement sexiste, l’employeur doit prendre toutes les mesures nécessaires pour y mettre un terme. C’est à lui d’affirmer le caractère inacceptable des agissements sexistes, notamment par une sanction disciplinaire appropriée, pouvant aller du simple avertissement jusqu’au licenciement.
- Si l'agissement sexiste n'est pas sanctionné pénalement en tant que tel, une condamnation pénale peut être prononcée au titre de l’injure publique à caractère sexiste et de l’injure sexiste dans un cadre privé.
- Par ailleurs, la loi du 3 août 2018, a créé un nouveau délit : l’outrage sexiste. Ce délit est caractérisé par le fait « d’imposer à une personne des propos à connotation sexuelle ou sexiste portant atteinte à sa dignité en raison de son caractère dégradant ou humiliant créant une situation intimidante, hostile ou offensante ».
- De plus, la répétition d’agissement sexiste induit un risque de harcèlement sexuel.
- Notez également, que la victime peut ne pas être la personne directement visée par les agissements : dans ce cas c’est l’exposition à un environnement sexiste dans le cadre du travail qui nuit à la victime, la rendant dans l’impossibilité d’accomplir sereinement ses missions.
La victime d’agissement sexiste peut saisir les Prud’hommes contre son employeur pour obtenir des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, que l’auteur soit un salarié de l’entreprise, un fournisseur ou un client. La victime peut également prendre acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de son employeur. L’employeur risque de voir sa responsabilité engagée pour manquement à son obligation de sécurité et d’être condamné à réparer le préjudice subi.
Les Astuces de Pro pour lutter contre le sexisme ordinaire
L’intention du législateur est claire : faire de l’employeur un acteur de la lutte contre le sexisme ordinaire dans son entreprise. Pas n’importe quel acteur, un acteur engagé et impliqué. C’est pourquoi, il ne suffit pas de checker que son entreprise satisfait aux obligations légales d’affichage, d’information… Face au risque d’agissement sexiste, la passivité est condamnée, la proactivité est récompensée. La jurisprudence considère que l’employeur engage sa responsabilité s’il n’a pas mis en place une organisation et des moyens adaptés pour prévenir et faire cesser les violences sexistes sur le lieu de travail.
Voici un condensé des actions et des pratiques les plus pertinentes à mettre en place :
- Afficher et appliquer un engagement clair de tolérance zéro en matière de sexisme et de violences sexuelles
- Impulser une culture d'égalité et combattre les stéréotypes en impliquant la ligne managériale : la connaissance est la meilleure des armes. Informer et sensibiliser les collaborateurs aux notions de sexisme, stéréotypes, égalité professionnelle est indispensable pour réduire le risque de sexisme. De nombreuses solutions sont à la disposition des employeurs : Il peut s’agir de modules de formation et de sensibilisation, de journées dédiées…
- Mettre à disposition du personnel des outils ou plateformes de communication : il peut être intéressant de donner à tous les acteurs de l’entreprise des possibilités d’échanger à propos de leur travail, sur un canal de l’intranet entreprise par exemple.
- Établir une charte de référence en matière de lutte contre le harcèlement et de la violence au travail. L’employeur peut ainsi élaborer une procédure à suivre si un cas d'agissement sexiste survient dans son entreprise, y définir un processus d'alerte et la posture à adopter pour accueillir les signalements et y donner suite.
- Faire du dialogue social un levier de prévention et de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes. Au- delà de l’intégration du sujet dans un accord, il s’agit d’impliquer le Comité social économique (CSE) dans la réflexion et le déploiement d’un plan d’action. Le but étant de construire une stratégie d'intervention collaborative CSE-RH.
- Créer un cadre de travail respectueux :
- en élargissant le sujet aux différentes formes d'humour et de propos offensants ou stigmatisants (homophobie ordinaire, racisme ordinaire, grossophobie ordinaire, âgisme…) ;
- en ajoutant la pédagogie à faire auprès des témoins passifs pour qu'ils prennent conscience de la nécessité d'intervenir pour ne pas laisser perdurer les comportements : passer à une posture d'allié pour un cadre de travail respectueux de toutes et de tous.
La lutte contre les agissements sexistes est individuelle et collective : L’entreprise doit poser un cadre et mener des actions pour prévenir et lutter contre le sexisme mais, nous avons toutes et tous une responsabilité individuelle à faire cesser ou laisser perdurer ces comportements.
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