Le sexisme s'intensifie-t-il en France ? Que dévoilent les chiffres du baromètre 2023 du Haut Conseil à l'Égalité concernant le sexisme sur le lieu de travail ?
Le constat dressé en mars par le Haut Conseil à l'Égalité à la suite de la publication de son baromètre 2023 évoquait une situation pour le moins préoccupante : « Le sexisme ne recule pas en France. Au contraire, certaines de ses manifestations les plus violentes s'aggravent, et les jeunes générations sont les plus touchées. »
Si, après cinq années de mobilisation, d'actions de sensibilisation et de l'adoption de nouvelles lois, le sexisme s'aggravait en France, l'inefficacité des mesures serait fort regrettable. C'est pourquoi il est impératif d'examiner et d'analyser les données de ce baromètre réalisé par Via Voice auprès de 2500 Françaises et Français âgés de plus de 15 ans. Les résultats, en particulier ceux liés au travail, sont particulièrement intéressants, mais dépeignent une réalité légèrement plus nuancée que celle largement diffusée dans les médias.
Voici cinq enseignements que nous pouvons tirer de ce baromètre :
87% des femmes et 72% des hommes estiment que les hommes et les femmes ne bénéficient pas d'une égalité au travail. Bien que cela représente une augmentation de 3 points par rapport à 2022, cela ne signifie pas nécessairement que le monde du travail est devenu plus sexiste que l'année précédente, mais plutôt que ces inégalités sont mieux reconnues. De même, l'augmentation du nombre de plaintes pour outrage sexiste ou violences sexuelles n'indique pas nécessairement une hausse de ces violences, mais que les victimes osent davantage porter plainte et en parler. Ce phénomène est également observable dans les entreprises : plus une entreprise communique sur son engagement contre le sexisme, propose des formations et met en place des dispositifs de traitement, plus le nombre de remontées augmente. L'augmentation est liée à la libération de la parole et non à une hausse des manifestations.
Le monde du travail est, par ailleurs, perçu comme moins inégalitaire par les moins de 35 ans que par leurs aînés. Dans tous les autres domaines (éducation, transports, réseaux sociaux, etc.), les plus jeunes perçoivent davantage d'inégalités que les plus âgés.
46% des femmes et 19% des hommes estiment avoir été traités de manière défavorable au travail en raison de leur genre, et 37% des femmes contre 17% des hommes considèrent avoir été pénalisés dans leurs choix d'orientation professionnelle.
Près d'un quart des femmes déclarent avoir subi des inégalités salariales à poste et compétences égales, 13% de la discrimination à l'embauche et 10% des violences sexuelles au travail (harcèlement ou agression).
Les manifestations ordinaires du sexisme sont de loin les plus fréquentes : 57% des femmes ont subi des plaisanteries sexistes, 38% du mansplaining et 29% des remarques sur leur physique ou leur tenue.
Ces chiffres sont proches de ceux d'autres études et demeurent assez stables depuis 5 ans. Ils ne montrent pas d'augmentation particulière, et la formulation de la question dans l'étude ne permet pas de les dater précisément. Si les discriminations liées au genre et le sexisme restent préoccupants et méritent des moyens ambitieux, on ne peut pas affirmer pour autant qu'ils sont en augmentation.
Les chiffres de ce baromètre révèlent que les situations de violences sexistes et sexuelles ne sont ni minimisées ni banalisées par les hommes et qu'elles suscitent presque autant d'indignation chez eux que chez les femmes. En moyenne, 75% des hommes et 85% des femmes considèrent comme inacceptable, voire révoltant, le harcèlement sexuel, les inégalités salariales ou la discrimination à l'embauche.
Sur ce point, on peut estimer que la norme a évolué et que le seuil de tolérance des Français a considérablement diminué en quelques années.
En revanche, c'est sur les situations de sexisme ordinaire que les écarts de perception entre hommes et femmes se creusent, avec des différences de l'ordre de 20 points :
71% des femmes contre 49% des hommes considèrent les blagues sexistes comme inacceptables ;
77% des femmes contre 57% des hommes jugent anormal de faire des commentaires sur la tenue vestimentaire d'une femme ;
75% des femmes contre 54% des hommes estiment inapproprié qu'un homme explique à une femme ce qu'elle connaît déjà.
Ces écarts de perception demeurent importants, mais ont tendance à se réduire, car ils étaient de l'ordre de 40 points il y a quelques années. Le niveau de sensibilisation des hommes à la question du sexisme ordinaire semble s'être amélioré. Globalement, un homme sur deux prend aujourd'hui conscience de la dimension dévalorisante et inacceptable du sexisme ordinaire. Ce sont les hommes de moins de 35 ans qui sont les moins sensibles et minimisent le plus cette problématique.
Les participants au baromètre Viavoice ont été invités à exprimer leur opinion sur de nombreux stéréotypes et clichés sexistes.
Les seuls stéréotypes de genre qui recueillent l'adhésion de la majorité des répondants, tant chez les hommes que chez les femmes, sont :
Tous les autres clichés sexistes sont rejetés par une majorité, voire les trois quarts des répondants.
Les stéréotypes concernant les compétences genrées sont particulièrement réfutés par les participants. Les affirmations telles que les hommes sont meilleurs en mathématiques ou en sciences, les hommes sont plus aptes à être patrons, ou encore qu'un homme qui gagne plus d'argent n'a pas à effectuer les tâches ménagères, sont rejetées par 90% des femmes et des hommes.
Ces chiffres suggèrent que l'influence des stéréotypes de genre dans la société tend à s'affaiblir, avec une répartition genrée des compétences de plus en plus ténue.
Cependant, les moins de 35 ans ne manifestent pas moins de stéréotypes que leurs aînés. Au contraire, ils adhèrent à la plupart des clichés de manière légèrement plus marquée (de l'ordre de 5 à 7 points).
Cela démontre que les nouvelles générations ne forment pas un bloc homogène qui serait, dans son ensemble, très sensible et éclairé sur les questions de genre et d'inclusion. Si une partie des jeunes est très engagée sur le sujet, d'autres y sont moins, voire pas du tout sensibles.
Plusieurs études et baromètres, dont celui de StOpE, ont démontré que la confrontation au sexisme affecte négativement la confiance en soi, génère de la colère et des sentiments d'injustice chez une très grande majorité des victimes. Cependant, les chiffres du baromètre ViaVoice/HCE mettent en lumière les stratégies d'évitement et l'autocensure qu'il provoque.
Ce lien entre autocensure et crainte d'être victime de sexisme montre à quel point le travail de lutte et de prévention du sexisme est indissociable des actions en faveur de la mixité. La création d'un cadre de travail respectueux pour toutes et tous est la première étape pour constituer des équipes mixtes à tous les niveaux.
En conclusion les inégalités et le sexisme sont clairement identifiés, mais il n'y a pas de preuve d'une augmentation significative. Les femmes continuent de vivre des inégalités de manière plus intense que les hommes, et les discriminations et violences sexistes sont largement condamnées par les deux sexes.
Les clichés sexistes et les stéréotypes de genre sont en général rejetés par la majorité des répondants, et les jeunes générations ne semblent pas être homogènes en termes de sensibilité à ces questions. Le sexisme provoque également de l'autocensure chez les femmes, impactant leur confiance en elles et leurs choix professionnels.
Il est essentiel de continuer à lutter contre le sexisme et promouvoir l'égalité des genres, en mettant en place des actions de prévention et en créant un cadre de travail respectueux pour tous.